Stenopelmus rufinasus, un taxonomiste efficace quoique un peu particulier…

 In dossiers de la lettre d'information

En effet, il ne s’agit pas d’un chercheur spécialisé dans la détermination des espèces, œuvrant dans un laboratoire bien équipé, mais d’un coléoptère de deux millimètres de longueur, dont l’activité de nutrition est spécifiquement consacrée à un seul genre de plante aquatique, Azolla (mais pas à toutes les espèces de ce genre) comme le démontrent les travaux récents de Paul T. Madeira et de ses collègues[1] en Afrique du Sud.

 

Stenopelmus-rufinasus -Rob Reeder-CABI

Certaines espèces du genre Azolla, petites fougères aquatiques flottantes de la famille des Azollaceae, sont identifiées comme exotiques envahissantes à l’échelle du globe. La plus connue d’entre elles est A. filiculoides. Présente dans différents pays d’Afrique et d’Asie, en Australie, Nouvelle Zélande, sur l’ensemble du continent américain et dans une grande partie des pays européens, cette espèce a fait l’objet depuis plusieurs décennies de diverses recherches sur les moyens de contrôler ses développements. Parmi ces recherches, celles portant sur les agents de contrôle biologique ont permis d’identifier un coléoptère de la famille des Curculionidae, Stenopelmus rufinasus Gyllenhal spécifique de cette espèce.

Dans le dossier intitulé “La « difficile bataille » contre les plantes exotiques envahissantes en Afrique du Sud” paru dans la lettre d’information IBMA N° 13, parue en septembre 2016, nous avions d’ailleurs fait état de la réussite du programme de contrôle biologique d’Azolla filiculoides par ce coléoptère, puisqu’entre 1997, début du programme, et 2010, la répartition de la plante dans ce pays a été réduite de 92 %.

Mais ce programme a eu au moins une conséquence totalement imprévue, celle de pouvoir constater que l’identification des espèces pouvait être réalisée par des opérateurs non-humains, contredisant même les résultats de certaines publications de recherche.

En effet, certaines observations de terrain montraient que S. rufinasus s’attaquait à des populations d’Azolla situées dans le Nord-Est de l’Afrique du Sud et considérées comme appartenant au taxon indigène A. pinnata subsp. africana (Hill et al., 2008[1]). Les essais préalables de spécificité du coléoptère réalisés en laboratoire avaient montré qu’il ne consommait pas ce taxon, aussi ces observations ont causé quelques inquiétudes sur son niveau de spécificité qui pouvaient remettre en question son utilisation en tant qu’agent de contrôle biologique.

Les auteurs rappellent que l’identification des espèces d’Azolla est difficile et que les similitudes morphologiques de ces espèces et leurs petites tailles ont conduit à “une “longue histoire d’identifications erronées” (“a long history of mistaken identifications“) selon Reid et al., (2006)[2].

Le développement des analyses génétiques peut permettre d’améliorer ces identifications. C’est pourquoi, afin de préciser les répartitions des espèces indigènes et exotiques d’Azolla en Afrique du Sud et de vérifier la spécificité de S. rufinasus en tant qu’agent de contrôle biologique, les auteurs ont réalisés des analyses moléculaires sur plusieurs dizaines de populations d’Azolla en Afrique du Sud et dans d’autres états africains (Cameroun, Congo, Ghana, Mozambique, Uganda, Zambie et Zimbabwe).

Azolla filiculoides - Emilie Mazaubert

Azolla filiculoides – Emilie Mazaubert – Où se cache Stenopelmus rufinasus sur cette photo ?

Selon les données scientifiques antérieurement disponibles, A. filiculoides était la seule section d’espèces d’Azolla présente en Afrique australe, A. pinnata subsp. africana, taxon indigène, était présente dans un site et A. pinnata subsp. asiatica, taxon exotique, dans trois.

Stenopelmus-rufinasus – Larve -Rob Reeder CABI

Les analyses génétiques réalisées par les auteurs leur ont permis d’améliorer de manière importante les connaissances sur la répartition de différents taxons d’Azolla présents sur une partie du continent africain et sur les proximités génétiques de ces taxons.

En particulier, 24 des échantillons analysés ont été identifiés comme étant Azolla cristata, un taxon exotique proche de A. filiculoides et un hôte approprié selon les essais de spécificité de S. rufinasus. De plus, ces analyses ont permis de démontrer que les populations considérées comme étant A. pinnata subsp. africana étaient en fait A. cristata.

Stenopelmus-rufinasus – Larve et adulte -Rob Reeder CABI

Elles ont également permis de comprendre pourquoi S. rufinasus s’était attaqué à des populations considérées jusqu’alors comme indigènes et que le programme de contrôle biologique ne visait pas. Le partenaire non-humain du programme avait été apparemment plus efficace dans la discrimination de ce qu’il était à même de consommer !

C’est ainsi que les auteurs concluent que leur étude confirme la compétence de S. rufinasus en tant que taxinomiste pour ce qui concerne Azolla et l’intérêt des techniques moléculaires pour résoudre des énigmes taxonomiques : “This study confirms that S. rufinasus is a proficient Azolla taxonomist but also supports the use of molecular techniques for resolving taxonomic conundrums.”

Alain Dutartre, 15 décembre 2016

[1] Madeira P.T., Hill M.P., Dray Jr. F.A., Coetzee J.A., Paterson I.D., Tipping P.W., 2016. Molecular identification of Azolla invasions in Africa: The Azolla specialist, Stenopelmus rufinasus proves to be an excellent taxonomist. South African Journal of Botany. 105, 299–305

[2] Hill, M.P., McConnachie, M.J., Byrne, M.J., 2008. Azolla filiculoides Lamarck (Pteridophyta: Azollaceae) Control in South Africa: A 10 Year Review. In: Julien, M.H., Sforza, R., Bon, M.C., Evans, H.C., Hatcher, P.E., Hinz, H.L., Rector, B.G. (Eds.), Proceedings of the XII International Symposium on Biological Control of Weeds. CAB International Wallingford, UK, pp. 566–568.

[3] Reid, J.D., Plunkett, G.M., Peters, G.A., 2006. Phylogenetic relationships in the heterosporous fern genus Azolla (Azollaceae) based on DNA sequence data from three noncoding regions. International Journal of Plant Science 167, 529–538.

  • Pour en savoir plus sur le contrôle biologique d’Azolla : http://www.especes-exotiques-envahissantes.fr/espece/azolla-filiculoides/
  • Illustrations supplémentaires de Stenopelmus rufinsasus : http://www.nonnativespecies.org/gallery/index.cfm?searchtype=s&query=Azolla%20Weevil&habitat=&organismtype=&cmdSearch=Search
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Ludwigia-peploides - Emilie Mazaubert
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