Des nouvelles sur les invasions biologiques marines en Méditerranée : un constat quelque peu amer ?

 In dossiers de la lettre d'information, ENI

Le dernier numéro de la revue en ligne Management of Biological Invasions” (Volume 8, N° 2) est un numéro spécial issu d’une conférence internationale tenue en Australie en janvier 2016. Tous les articles sont en accès libre. Dix d’entre eux sont classiquement consacrés à des résultats de recherches menées sur différentes espèces invasives marines. Deux autres présentent des points de vue (“Viewpoint article“), l’un sur les stratégies d’ingénierie et de gestion des infrastructures maritimes permettant de réduire l’établissement et la dispersion des espèces invasives, le second sur les conséquences de l’élargissement du canal de Suez en matière d’invasions biologique de la Méditerranée.

Dans ce dernier, Bella Galil (Université de Tel Aviv) et ses collègues (Universités de Pavie, Italie, et de Tartu, Estonie) présentent un bilan des introductions d’espèces et des enjeux de la gestion des espèces invasives. Selon les travaux de recherche antérieurs, environ deux tiers des 751 espèces exotiques pluricellulaires recensées en Méditerranée y ont été introduites par l’intermédiaire du canal de Suez (ce que les auteurs nomment “Erythraean non indigenous-species”, ENIS) et leur nombre a doublé entre 1980 et 2016.

Figure 1 : Nombre d’espèces exotiques dans différents pays méditerranéens (en rouge la fraction des espèces probablement introduites par le canal de Suez, la taille du cercle est proportionnelle au nombre d’espèces exotiques recensées par pays) (Galil et al., 2017)

La carte de la figure 1 montre bien la relation existant entre la proportion de “ENIS” dans les espèces exotiques recensées par état et la distance avec le débouché du canal de Suez.

Comme le montre la figure 2, l’élargissement progressif du canal depuis son creusement a été un facteur important de l’accroissement des flux d’espèces vers la Méditerranée. En effet, à sa création en 1869, sa section était de 304 m² avec une profondeur de 8 m. Au fil du temps il a été élargi et approfondi, passant à 1 200 m² et 14 m de profondeur en 1956, puis à 5 200 m² et 24 m de profondeur en 2010. Enfin, le canal a été doublé en 2015 par un second chenal parallèle au premier (“New Suez Canal“).

Figure 2 : évolution de la section du canal de Suez et nombre probable d’espèces introduites en Méditerranée par son intermédiaire

Les auteurs rappellent les importants efforts pour élaborer un Programme d’évaluation et de surveillance intégrées de la mer et des côtes méditerranéennes dans le cadre de la Convention pour la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée (Convention de Barcelone adoptée en 1976) (voir aussi à ce sujet, les informations déjà fournies sur ce programme).

Ils présentent également un tableau de comparaison des calendriers de mise en œuvre du “Plan d’action concernant les introductions d’espèces et les espèces envahissantes en Méditerranée” (UNEP / MAP-RAC / SPA 2005) et sa récente mise à jour (UNEP / MAP 2016c). Le premier calendrier s’étendait sur 36 mois au terme desquels des plans nationaux d’action des parties contractantes devaient être établis [“Elaborating the National Plans (36 months)”]. Le second calendrier s’étend sur la même durée avec les mêmes phases d’organisation, conduisant donc à l’élaboration de ces plans nationaux d’actions pour 2019.

Les auteurs remarquent donc que ce second plan répète “nearly verbatim” ce qui figurait déjà dans le premier et qu’ils appellent “exhortation” : “Il est impératif de prendre des mesures immédiates pour empêcher l’introduction d’espèces exotiques, contrôler la propagation de celles déjà introduites et s’efforcer d’atténuer les dégâts qu’elles causent à l’écosystème marin (“It is imperative to take immediate steps to prevent the introduction of alien species, control the spread of those already introduced and endeavour to mitigate the damage they cause to the marine ecosystem“)”.

Ils terminent leur article en attirant l’attention sur l’échec de cette politique environnementale, en rappelant que bien que les données de recherches aient alimenté les connaissances sur ces invasions depuis plus d’un siècle, il a manqué la prise de conscience de l’ampleur des conséquences à l’échelle de la Méditerranée et la volonté politique pour adopter les décisions environnementales nécessaires (“We call attention to the failure of an environmental policy that left the entire Mediterranean Sea prone to colonization by highly impacting non-indigenous species, including poisonous and venomous ones. Scientific research has been documenting this bioinvasion for over a century, yet beyond the ambit of marine scientists there is a lack of awareness of the scale of Mediterranean-wide consequences and scant appetite to enact the necessary environmental policies.“).

Alain Dutartre, juin 2017

 

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