Aloès d’eau (Stratiotes aloides) en Lorraine : un éveil partiel et temporaire?

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Opération de ramassage manuel de S. aloides en septembre 2016 © Ecolor

En octobre 2016, nous avions fait état d’un développement extrêmement important d’une plante de la famille des Hydrocharitacées, Stratiotes aloides (aloès d’eau), dans deux plans d’eau lorrains proches de Sarrebourg gérés par Voies navigables de France pour l’alimentation en eau du réseau de canaux de la région.

Nous avions alors indiqué que, sauf rare exception, cette espèce ne présentait pas à l’échelle du globe de dynamique importante d’expansion et que sa relative rareté en métropole avait conduit à la faire bénéficier d’un statut de protection dans plusieurs régions du Nord et de l’Ouest. Sa prolifération observée dans ces deux plans d’eau était suffisamment préoccupante pour qu’une étude soit commandée par VNF au bureau d’étude ECOLOR avec une aide financière de l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse. En effet, cette colonisation végétale venait gêner les usages touristiques des plans d’eau et présentait d’éventuels impacts négatifs sur la biodiversité des milieux concernés qu’il semblait nécessaire d’évaluer. L’étude concernait S. aloides et une autre espèce de la même famille de plantes, récemment observée dans les mêmes sites, l’élodée de Nuttall (Elodea nuttallii). Les premiers résultats de cette étude donnaient des précisions sur la localisation et l’extension des herbiers de ces deux espèces dans ces milieux en 2015.

En une année, une forte régression de la colonisation de Stratiotes aloides

Vue du contre-fossé colonisé par S. aloides en 2015. © Ecolor

Des observations ponctuelles réalisées au début de l’été 2016 sur S. aloides montraient une colonisation similaire dans le contre canal et la cornée de Ketzing, alors que dans l’étang du Stock, aux variations de niveaux relativement importantes durant cette période, la colonisation semblait avoir fortement régressé.

La première réunion d’un comité de pilotage mis en place pour informer public et collectivités territoriales concernées a eu lieu fin juillet 2016. Au cours de cette réunion les services de VNF ont présenté les informations disponibles sur la plante, l’état de colonisation, les moyens éventuels d’intervention de régulation et les enjeux de sa gestion.

Un deuxième rapport du bureau d’étude ECOLOR établissant un nouveau bilan de la colonisation des deux espèces a été récemment remis à VNF. Les prospections de terrain ont été effectuées de fin juillet à début octobre 2016 sur l’ensemble des milieux étudiés (étangs d’eau du Stock, de Gondrexange et de Mittersheim et leurs annexes).

En ce qui concerne S. aloides, elles confirment les observations ponctuelles du début d’été. Comme en 2015, l’espèce a été observée dans deux annexes du plan d’eau de Gondrexange (contre-fossé du canal de la Marne au Rhin et cornée de Ketzing) et dans l’étang du Stock (des cartes de localisation figurent dans le rapport). Ainsi que le présentent les données du tableau 1, la superficie cumulée d’herbiers denses en situation émergée est restée stable dans le contre-canal, a légèrement diminué dans la cornée de Ketzing mais s’est trouvée réduite à zéro dans l’étang du Stock.

Tableau 1 : superficies cumulées d’herbiers denses émergés de S. aloides (ha)
Site 2015 2016
Contre-fossé 1,39 1,4
Cornée de Ketzing 4,83 4,4
Etang du Stock 10,24 0

La régression de la population de S. aloides d’une année à l’autre dans l’étang du Stock est donc extrêmement importante, toutefois l’espèce n’y a pas totalement disparu car elle y a été encore observée durant l’été en situation immergée dans quelques stations ponctuelles.

Les plantes restées émergées durant l’hiver 2016 – 2017 dans le contre-fossé et la Cornée de Ketzing ont dû fortement souffrir des effets du gel puisque la couche de glace dans les plans d’eau a atteint 25 cm d’épaisseur mais les plantes immergées ont été protégées des effets de ce gel.

Quelle hypothèse explicative de cette régression ?

Parmi les hypothèses pouvant expliquer l’intensité d’une telle régression, le rapport remarque que des variations importantes et rapides de niveau des eaux peuvent perturber le cycle biologique très particulier de cette espèce.

Stratiotes aloides présente une particularité écologique assez surprenante : la plante est émergée durant le courant de l’été et immergée en hiver et au printemps, (diagramme de Renman, 1989)

Les plans d’eau de VNF concernés par cette étude sont utilisés comme réservoirs d’alimentation en eau des canaux de la Marne au Rhin et de la Sarre. Pour assurer cette fonction, ils sont donc annuellement soumis à des périodes successives de remplissages et de vidanges.

En règle générale, sur l’étang du Stock, les variations les plus importantes de niveau des eaux se produisent en période de remplissage entre décembre et avril (élévation hebdomadaire d’environ 30 à 40 cm) et en période de vidange de septembre à novembre (abaissement hebdomadaire d’environ 15 cm). De mai à août, ces variations restent faibles, avec un abaissement hebdomadaire de l’ordre de 3 à 4 cm. Ces évolutions de niveau des eaux semblent compatibles, sinon favorables, à la réalisation du cycle biologique de S. aloides.

Les évolutions des niveaux d’eau du contre canal et de la cornée de Ketzing 2015 et 2016 sont restées conformes aux autres années.

Ce ne fut pas le cas en 2015 pour l’étang du Stock.En effet, des besoins inhabituellement élevés en eau, destinés à soutenir le débit du canal de la Marne au Rhin, ont obligé à débuter le pompage dès le mois de juillet (au lieu de septembre), ce qui a amené une baisse de niveau des eaux dans l’étang du Stock d’environ 2 m, exondant les bordures peu profondes du plan d’eau jusqu’en janvier 2016.

Cet important abaissement du niveau des eaux et l’exondation des pieds de S. aloides de ces zones de bordure pendant plusieurs mois, y compris le début de l’hiver, ont pu réduire le développement de ces plantes durant les premiers mois et, plus tardivement, celui des turions[1], voire même dégrader de manière importante les appareils végétatifs avant le stade normal d’hivernage immergé, ce qui pourrait expliquer la faible expansion de l’espèce dans le plan d’eau en 2016.

[1] turion ou hibernacle : type de bourgeon particulier se développant sur la partie souterraine des plantes pour favoriser leur résistance hivernale.

Quelle gestion de S. aloides ?

Le rapport comporte des éléments bibliographiques sur la gestion de S. aloides, issus de la littérature scientifique disponible, montrant que l’espèce ne présente que très rarement des développements causant des nuisances et qu’elle est considérée comme un support favorable à la faune aquatique, notamment à l’entomofaune (odonates). La régression de certaines de ses populations en Europe est même considérée comme préoccupante par divers chercheurs.

Il fait également état de la réalisation et des résultats de la première expérimentation d’enlèvement manuel de l’espèce réalisée dans la cornée de Ketzing en août 2016 sous l’égide du Parc Naturel de Lorraine (expérimentation déjà signalée dans la précédente information diffusée par IBMA) et d’une récolte manuelle engagée en septembre 2016 par l’Association de Pêche (AAPPMA), La Sarrebourgeoise, sur plusieurs stations ponctuelles de S. aloides situées dans l’étang du Stock.

Chantier d’arrachage manuel de Stratiotes aloides dans la cornée de Ketzing. © Laure Lebraud (PNRL)

Le rapport présente ensuite des éléments de cadrage des actions à mettre en œuvre pour mettre en place une gestion organisée de l’espèce dans les milieux colonisés.

Le fonctionnement hydraulique actuel des étangs réservoirs n’est pas directement impacté par S. aloides, absente aux abords des sites des pompes d’alimentation du canal de la Marne au Rhin. Les principaux enjeux de cette gestion concernent les gênes aux usages des plans d’eau (activités nautiques, pêche) et les atteintes à la biodiversité dans les sites fortement colonisés par des herbiers monospécifiques.

Les objectifs de cette gestion sont :

  • de limiter la propagation de l’espèce dans les secteurs où elle se développe en herbiers denses,
  • d’éviter sa propagation dans des zones non encore colonisées,
  • de mettre en place un suivi annuel de la dynamique de ses populations dans les différents sites.

Utilisant comme référence les répartitions de 2015 et 2016, cette stratégie devra également définir des zones prioritaires d’intervention selon l’intensité des nuisances ressenties à l’échelle locale et l’accessibilité aux sites.

La très forte régression de la colonisation de l’étang du Stock conduit à ne pas retenir, pour le moment, d’intervention dans l’étang. Toutefois les observations réalisées sur les conditions de cette régression (plantes exondées pendant plusieurs mois) amènent à une proposition de mise en assec total d’août à octobre de la cornée de Ketzing et des autres annexes du canal de la marne au Rhin colonisées par S. aloides, une proposition qui doit encore être examinée par VNF.

Des indications complémentaires sont fournies dans le rapport sur les possibilités de cette mise en assec, les impacts éventuels de cette intervention sur les communautés vivantes (flore et faune) non visées, les suivis à mettre en œuvre pour les évaluer, et le devenir des déchets verts qui pourraient subsister.

L’étude doit se poursuivre en 2017 pour permettre le suivi technique des interventions et en évaluer l’efficacité.

Schéma décisionnel des actions à mener pour lutter contre l’invasion de S. aloides. ©Ecolor

N. B. : les investigations menées sur E. nuttallii sont également présentées dans le rapport. Observée en 2015 dans une seule cornée de l’étang de Gondrexange, la cornée de Réchicourt, sur une superficie très réduite (quelques dizaines de mètres carrés), elle n’a fait l’objet d’aucune observation en 2016. Le rapport propose toutefois qu’une intervention de ratissage totale de la zone colonisée soit réalisée en période de basses eaux pour permettre l’évacuation de toute la biomasse présente suivie d’une mise en décharge ou d’un compostage.

Bruno Dhirson (VNF), Alain Dutartre (GT IBMA)

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